Dans le monde et hors du monde
Vivre sa vie de yogi, s’adonner à ses pratiques composées de méditation, de yoga et d’autres rituels installe progressivement dans une autre vision du monde ou plutôt dans une autre posture. Ma spiritualité est un chemin qui s’accomplit dans le monde : je n’ai pas choisi de me retirer dans un couvent ni de vivre en ermite sur les hauteurs de l’Himalaya. Je n’ai pas choisi le dépouillement, ni le renoncement. J’ai choisi ce chemin où je me lève le matin pour aller travailler, gagner un salaire et payer mes factures. Je me confronte au « monde » et à ses impératifs. Et en même temps, ma vie est ponctuée de mes rituels et de mes pratiques.
Ce n’est pas une vie monastique et pourtant ce n’est pas si loin. Les distractions ne m’appellent plus depuis longtemps. Je m’y prête volontiers mais bien plus pour le plaisir d’un moment partagé que pour l’activité en elle-même. Les bruits du monde ne me parlent plus. Les discussions politiques m’interpellent peu et la réalité, c’est que j’ai perdu mes opinions. Tous ces combats auxquels je m’identifiais si fort sont tombés comme des vêtements qui auraient glissé l’un après l’autre. Je ne les ai pas repoussés, je ne les ai pas arrachés. J’ai fait un travail, oui, pour m’extraire de la laideur, de la noirceur et de l’agressivité que je percevais en moi. Et en cours de route, tous les combats sont tombés.
Me voici donc dans une posture nouvelle, les mains vides, et sur une route sans repères où se dessinent des repères différents. C’est une vie dans l’étonnement, comme une découverte, et aussi dans l’émerveillement. Entre les autres et moi, il y a l’amour. Je le vois bien : ces personnes qui m’aiment et m’accueillent telle que je suis ne cherchent plus à m’emmener dans leurs querelles. Elles ont compris que je n’y ai pas ma place. Elles amorcent des discussions et renoncent. Elles lâchent-prise finalement, en réponse à mon propre lâcher-prise et à ce qui se trouve être mon propre dépouillement.
Donc oui, je suis restée dans le monde. Je joue le jeu, toutes les apparences y sont, et je prends aussi mes responsabilités réellement. Je marche dans les rails mais à côté, je danse dans un monde invisible où mon coeur est en éveil, se réjouit et célèbre. Il y a la beauté délicate de la joie secrète, la délicatesse de ce dénuement soudain et l’amour immense. L’unique chose qui reste.
Et je suis subjuguée, je suis à genou face à la beauté de ces êtres qui m’aiment et à leur tour retirent leur combats. Ils sont doux comme la marée qui descend et laisse la surface veloutée du sable scintiller. Ils sont doux comme une caresse et me laissent submergée de larmes dans la noblesse de leur retrait, où je ne vois rien d’autre que l’empreinte de leur amour pur.
L’intelligence du coeur se joue en silence.
Et c’est l’unique chose qui reste.